Un petit bijou que ce livre inattendu, publié pour la première fois en 2014 sous le titre à la fois sibyllin et prometteur: The Unknown Unknown, Bookshops and the Delight of Not Getting What You Wanted .
Paul Vacca nous l’explique dans sa préface. Voilà un ‘livre-monde’, non tant par la taille – ce petit volume fait 48 pages en tout et pour tout- que par les horizons qu’il nous ouvre. Il nous invite à dépasser notre cocon culturel, notre algorithme intérieur.
Voilà qui nous plaît; nous allons pouvoir aller voir un peu par là où nous ne savons pas. Ou plus précisément: par là où nous ne savons pas que nous ne savons pas. Nous allons explorer les angles morts, et nos horizons cachés.
Elargir nos horizons:
Comme le disent certains joueurs de mots, ‘savoir’, c’est ‘voir ça’, c’est à dire ‘ça et, finalement, pas autre chose’. Or, de cette autre chose, nous n’avons souvent pas même l’idée qu’elle pût exister et nous intéresser.
Et Mark Forsyth de citer avec finesse et ironie une remarque – d’ailleurs fort commentée et raillée en son temps- d’un sage ignoré, un certain Donald Rumsfeld (oui oui, celui-là même). Comme il arrive parfois, une niaiserie apparente peut cacher une perle de sagesse. Accrochez-vous:
« Il y a des choses que nous savons savoir. D’autres que nous savons ne pas savoir. C’est-à-dire que nous savons ne pas savoir pour le moment. Mais il y a aussi des choses que nous ne savons pas ne pas savoir. Des choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. »
p.14
Ca a l’air maladroit, certes, et possiblement un peu nigaud, pourtant il y a là quelque chose de tout à fait juste. Si nous cherchons, par exemple, un livre, l’Internet-même ne pourra nous suggérer que ce que nous voulons ou savons déjà vouloir, ou son équivalent, mais rien de plus. De fait, pour rencontrer plus, il faudra compter sur le hasard, le destin ou… une ‘Bonne Librairie’. Car dans une ‘Bonne Librairie’, peu ou prou, tous les livres sont bons. Aussi, de ces livres physiques, une couverture, un titre, une phrase vont nous parler, et peut-être nous ouvrir bien des perspectives.
Le livre que l’on feuillette, ce peut être celui qui, résonnant avec nos préoccupations, nous parlera de notre avenir au détour d’un paragraphe. Comme dans les histoires romantiques, où contrairement aux sites de rencontres, les héroïnes et héros tombent de préférence amoureux du parfait contraire de leur profil idéal, le lecteur pourra tomber sous le charme d’un auteur qu’il ne s’attendait pas à apprécier.
Sortir de nos cadres habituels:
Le problème n’est pas tant, d’une manière générale, d’être esclave de ses désirs que clôturé par ceux-ci. L’auteur, amateur de whisky (« Je suis plutôt whisky, voyez-vous. Ecossais. Single Malt d’Islay, de préférence. »), nous en donne un exemple:
« Mais… peut-être que j’aimerais le Dubonnet. On ne sait jamais. C’est lundi que j’ai pris conscience que je n’avais jamais essayé. On est samedi. Il y a un magasin à 236 mètres exactement de là où je suis actuellement qui vend du Dubonnet. J’y suis allé plusieurs fois cette semaine. Mais… mais je suis clôturé par mes désirs. Je préfère ce que je connais déjà. Je préfère me procurer les choses que je savais déjà vouloir. Et puis merde. Je vais acheter du Dubonnet. Je vous suggère de faire la même chose. »
p.43
Quoi qu’il en soit, et même s’il en reste, il y a de moins en moins de terrae incognitae sur nos mappemondes, de choses que nous savons ne pas savoir, et une réponse à presque toutes les questions que nous nous posons. Ne restent en somme que les questions que nous ne savons pas poser, celles qui ‘dansent dans votre dos’, mais elles sont nombreuses, elles sont partout, et peut-être ce livre qui nous attend juste là, au fond d’une bonne librairie, nous parlera-t-il de ce ‘continent inconnu’, ‘ce qu’on ne sait pas ne pas savoir’.
Merci, Mark Forsyth, pour cette ode à la liberté. Je suis justement tombé, dans une bonne librairie, sur votre Brève histoire de l’ivresse (*) et…
* FORSYTH (Mark), Une brève histoire de l’ivresse, Les Editions du Sonneur, 2020 pour l’édition française