Le Phare d'Alexandrie Un blog culturel

Retrouver une nourriture saine par l’agriculture sauvage et la simplicité du non-agir: La Révolution d’un seul brin de paille.

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FUKUOKA (Masanobu), La révolution d'un seul brin de paille, Guy Trédaniel Editeur, 2015, traduit de l'Américain par Bernadette Prieur Dutheillet de Lamothe.
FUKUOKA (Masanobu), La révolution d’un seul brin de paille, Guy Trédaniel Editeur, 2015, traduit de l’Américain par Bernadette Prieur Dutheillet de Lamothe.

Ici aussi, il s’agit de trouver des repères, de se recentrer au fond sur l’essentiel. De fait l’essentiel, pour l’auteur, Masanobu Fukuoka (1913-2008), passe un peu par la nourriture. Et cette ‘révolution d’un seul brin de paille’, dont il nous parle, c’est l’histoire d’un engagement concret, de longue haleine.

Un ouvrage pour tous publics:

L’ouvrage japonais original (Shizen noho wara ippon no Kakumei), en effet, a été publié à Tokyo en 1975. M. Fukuoka y expose sa vision, amplement concrétisée dans son exploitation agricole (de riz, céréales d’hiver et agrumes), de ce que devrait être une agriculture saine, raisonnée. Une telle agriculture, ‘sauvage’, ‘naturelle’, remet en question, on devrait s’en douter aujourd’hui, les principes de l’agriculture scientifique ‘moderne’. Il entend par là tout particulièrement telle qu’elle s’est développée au Japon depuis la Seconde Guerre Mondiale, certes, mais aussi chez nous depuis quelques dizaines d’années.

Voici un ouvrage pour tous publics. Son intérêt, comme nous le rappelle le préfacier Wendell Berry, est aussi qu’il n’y est pas question que d’agriculture. Il nous est dit que Masanobu Fukuoka lui-même, était microbiologiste de formation, et a travaillé un temps dans sa jeunesse au Bureau des Douanes de Yokohama, Division de l’Inspection des Plantes. Or il a su s’écarter, dans ce livre, d’une spécialisation trop poussée. Au contraire, il appelle de ses voeux une fertile interdisciplinarité (il ne prononce pas le mot):

“Plus tard, j’ai pensé que le but serait atteint quand les savants, les hommes politiques, les artistes, les philosophes, les religieux et tous ceux qui travaillent dans les champs se rassembleraient ici, contempleraient ces champs et en parleraient ensemble. Je pense que c’est le genre de chose qui doit arriver pour que les gens dépassent l’horizon de leur spécialité.”

(chap. L’humanité ne connaît pas la nature, p.53)

Ce qu’est l’agriculture sauvage:

Sa méthode de culture est simple, et repose sur quatre principes, une sorte de méthode du ‘non-agir’:

– ne pas cultiver (i.e. labourer ou retourner la terre)

– pas de fertilisant chimique ou de compost préparé

– ne pas désherber au cultivateur ni aux herbicides

– pas de dépendance envers les produits chimiques

Les terrains sont consacrés en alternance à la culture du riz et de céréales d’hiver. La refertilisation de sols possiblement appauvris se fait, , par le retour à la terre de toute la paille. Entière, après battage, celle-ci est épandue pêle-mêle comme mulch de surface. Sa décomposition est alors facilitée par le fumier de canards circulant librement sur l’exploitation. Cela semble à M. Fukuoka à la fois logique, nécessaire et respectueux de la terre et de l’Homme. Il recourt aussi aux semailles sur ces mêmes terres de trèfle blanc des champs, comme engrais vert.

Une juste évaluation des rythmes de croissance respectifs de ces cultures permet d’en assurer l’enchaînement harmonieux. Il permet aussi de limiter les attaques de parasites et un développement trop important de mauvaises herbes. Il s’agit en somme de comprendre les rythmes de la nature. On se montre respectueux de la terre, que l’on sert sans la violenter, par des méthodes non-intrusives. Ceci favorise la vie équilibrée et les interactions des insectes, vers de terre et micro-organismes dans des couches fertiles préservées.

M. Fukuoka obtient ainsi des rendements pour lui très satisfaisants, de cultures robustes sur des terres saines et fertiles. Bien sûr, en découlent d’importantes réserves sur la pertinence des méthodes invasives et déraisonnées de pans entiers de l’agriculture moderne.

Retrouver des méthodes saines, loin des folies de l’agro-industrie moderne:

Masanobu Fukuoka s’est en effet élevé lui aussi, en son temps -il le raconte- ‘vox clamens in deserto’, contre le comportement de pompier-pyromane des industries chimiques, phytosanitaires et mécaniques. Ces dernières vivent d’une agriculture dans laquelle des sols appauvris, violentés, surexploités, doivent être artificiellement refertilisés, pour accueillir et faire croître en toute saison, le plus possible et le plus vite possible et sur des sols aseptisés, des plantes et légumes d’espèces affaiblies. Les plantes et produits obtenus doivent par ailleurs, en amont comme après la cueillette, être pensés, retravaillés, voire trafiqués pour avoir l’apparence la plus standard et appétissante possible, bien souvent au détriment de la préservation de leurs vertus, et du revenu des producteurs, qui y perdent au mieux sur leurs marges, au pire et bien souvent sur leur temps, leur santé et leur dignité.

Le sens et le goût de la nourriture:

Il serait bon pour l’Homme, bon pour nous, pour notre équilibre, pour notre santé, pour celle de la nature dont nous faisons partie et dont dépend notre subsistance, que nous retrouvions enfin le sens -et le goût- d’une nourriture saine. La position de Masanobu Fukuoka semble hautement compatible avec l’idée toujours actuelle des circuits courts. Il souligne en outre l’accessibilité pour tout un chacun de réponses modestes aux besoins du quotidien, notamment en alimentation. Il ne s’agit pas seulement de lutter contre la malbouffe, et de suivre un régime bio sophistiqué pour surbooster notre capital santé. On nous invite bien plus à retrouver, dans nos rapports à la nature, et à la nourriture, la saine simplicité -mais sans naïveté – d’un regard d’enfant. Et quelque chose de cette ‘sobriété heureuse’ dont parle par exemple Pierre Rabhi.

200 pages pour se sentir l’âme d’un jardinier (une belle introduction à la permaculture), et se (re)familiariser avec la question fondamentale de notre alimentation.

FUKUOKA (Masanobu), La révolution d’un seul brin de paille, Guy Trédaniel Editeur, 2015, traduit de l’Américain par Bernadette Prieur Dutheillet de Lamothe.

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Alexandre G-L

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